Qalhât (Sharqiya, Oman)

Présentation :

Qalhât est l’un des sites archéologiques les plus importants du Sultanat d’Oman, un port médiéval situé à environ 50km au nord du Ra’s al-Hadd, pointe extrême de la péninsule arabique, près de la ville de Sûr. C’est aujourd’hui un vaste champ de ruines d’environ 35ha où aucun bâtiment n’est plus visible à l’exception du mausolée dit de Bîbî Maryam, tout ce qui reste d’une grande ville fortifiée abandonnée depuis le XVIe siècle.

Le site n’avait jamais été étudié à l’exception de quelques prospections et d’une unique campagne de fouille en 2003, et les informations sur Qalhât provenaient pour l’essentiel de quelques sources textuelles : une possible fondation au début de l’ère chrétienne, sinon vers 1100 ; un lien politique et économique très fort avec le royaume d’Hormuz ; un essor important de la ville et de ses activités portuaires, notamment avec l’Inde, aux XIIIe-XVe siècles ; la construction d’une enceinte en 1218 ; une grande mosquée richement décorée érigée par Bîbî Maryam, femme d’Ayâz le gouverneur de la ville pour le royaume d’Hormuz au tournant du XIIIe siècle ; un déclin au XVe siècle au profit de Mascate ; un possible tremblement de terre ; le sac de la ville et la destruction de la mosquée par les Portugais en 1508 ; enfin l’abandon définitif dans la seconde moitié du XVIe siècle. La politique actuelle du gouvernement omanais de mise en valeur de son patrimoine et de développement du tourisme culturel, a finalement conduit le Ministère du Patrimoine et de la Culture (MHC) omanais à lancer en 2007 un vaste projet d’étude et de développement du site, en collaboration avec divers spécialistes du CNRS (dir. A. Rougeulle, UMR8167). Les cinq premières campagnes de fouilles du Qalhât Project (QP, 2008-2012), menées dans le cadre des projets de la Commission consultative des fouilles du Ministère des Affaires Etrangères (DGM), ont apporté de nombreuses informations sur l’histoire et l’organisation spatiale de la ville. En conséquence le MHC a lancé en 2013, parallèlement à la poursuite du QP, un nouveau projet ayant pour objectif final la création d’un parc archéologique sur le site. Réalisé sous la direction scientifique d’A Rougeulle, le Qalhât Development Project (2013-2019) fut entièrement financé par l’Oman. Alors que le QP avait pour objet d’étendre les recherches et de compléter notre connaissance du site dans son ensemble, l’objectif du QDP était de fouiller extensivement certains des bâtiments les plus importants déjà découverts, puis de les consolider afin de les rendre accessibles au public dans le cadre du parc archéologique. Il comportait donc un volet fouilles (2013-2016), réalisé par le CNRS et l’agence de fouilles préventives Eveha International, un volet conservation (2013-2019), réalisé par le World Monuments Fund, une association à but non lucratif basée à New York, et un volet développement, lancé en 2022. Un programme de cartographie et imagerie 3D du site et des bâtiments fouillés a également été mis en œuvre en collaboration avec l’agence Iconem. Suite à ces travaux, le site a été inscrit sur la liste UNESCO du Patrimoine Mondial en juillet 2018.

Maquette de Qalhât réalisée en collaboration avec Base Models London

Les fouilles menées à Qalhat dans le cadre des QP et QDP (2008-2016) ont permis de mettre en évidence les principales étapes de l’évolution du site. Aucune trace d’occupation préislamique ni même islamique ancienne n’a été mise en évidence et la ville ne semble pas remonter au-delà de 1100, ce qui confirme les notations de Yaqût et Turan Shâh selon lesquelles Qalhât aurait été fondée vers 500 de l’Hégire par une migration yéménite en route pour l’Iran où elle aurait ensuite établi le royaume d’Hormuz. L’établissement paraît avoir été assez réduit aux XIIe-XIIIe siècles, limité au secteur situé au bord de la plage. De fait, un site islamique ancien a été identifié sur le Ra’s al-Hadd, qui a livré une grande quantité d’importations des Xe-XIIe siècles. Il est donc probable que Qalhât a succédé à ce port en tant que centre du commerce international, vers le milieu du XIIe siècle probablement. Les murailles sont construites au début du XIIIe siècle, possiblement en 1217/18 comme l’a noté Ibn al-Mujâwir. Elles englobent un espace beaucoup plus vaste que la zone urbanisée qui reste semble-t-il concentrée en bordure du rivage, un habitat dense irrigué par un réseau de rue et de ruelles, certainement centré sur une mosquée. Associée au royaume d’Hormuz, la ville connait un essor considérable à partir de la fin du XIIIe siècle, et notamment sous le règne d’Ayâz, le gouverneur hormuzi de la ville, et de sa femme Bîbî Maryam. Le centre de l’agglomération ancienne, y compris la mosquée, est alors entièrement rasé pour établir un grand complexe architecturalcomprenant un grand bâtiment de fonction encore indéterminée et une nouvelle grande mosquée : c’est un bâtiment impressionnant et richement décoré, avec notamment des carreaux vernissés importés de Kashan en Iran, édifié sur un haut soubassement dominant la mer et associé à des cours et des bâtiments annexes. Autour de ce complexe, le quartier central semble également largement remanié. lLes quartiers périphériques sont établis à ce moment, avec des ateliers d’artisans, des magasins et des maisons, parfois très vastes, alignés le long de rues ou organisés autour de placettes. Un hammam est construit dans le secteur de la porte nord de la ville qui est alors considérablement remaniée. L’extension maximale de la cité date des XIVe-XVe siècles, également la période d’apogée du port comme l’indiquent les nombreuses importations iraniennes, indiennes et extrême-orientales de cette époque. Le déclin de Qalhât commence dès la seconde moitié du XVe siècle. Nombre de structures des quartiers périphériques sont alors détruites, certaines sont reconstruites et d’autres définitivement abandonnées. Les traces des destructions provoquées par les Portugais en 1508 ont été repérées dans certains bâtiments, notamment à la grande mosquée. Même si elles furent probablement moins sévères que ne le raconte d’Albuquerque, il est probable que la ville fut en grande partie abandonnée après cette date. Toutefois, certains bâtiments sont occupés jusqu’à la seconde moitié du XVIe siècle et le port connait toujours une certaine activité dans le commerce international, associé cette fois aux réseaux lusitaniens comme l’indique le style des porcelaines de cette époque.

L’étude cartographique a révélé les grandes lignes de l’organisation spatiale de la ville ; associée à l’analyse de surface elle a permis de dessiner le plan détaillé de l’agglomération aux XIV-XVe siècles. Les fouilles et sondages du QP ont mis en lumière la fonction et l’évolution des divers quartiers et de nombreux bâtiments, administratifs, religieux, funéraires, artisanaux et domestiques. Les zones funéraires, le système défensif et l’approvisionnement en eau ont été étudiés. Les fouilles extensives du QDP ont permis de dégager entièrement la porte occidentale la ville et une partie de la muraille, le complexe de la grande mosquée, plusieurs mosquées secondaires, des terrasses funéraires et des petits mausolées, des habitats, un magasin, un hammam, un atelier de bijoutier et un atelier céramique, qui fournissent des informations exceptionnelles sur la vie quotidienne et les techniques dans l’Oman médiéval. Les travaux à la grande mosquée notamment, un bâtiment remarquable et extrêmement complexe, daté des environs de 1300, ont permis de mettre en lumière les techniques et les diverses influences architecturales à l’œuvre dans cette ville cosmopolite. Enfin, l’analyse du matériel et notamment de la céramique, locale et importée, a permis d’établir une chrono-typologie des productions locales et de dessiner la grande diversité des réseaux d’échange du port, régionaux et internationaux, avec Hormuz, l’Iran et l’Inde surtout, mais également avec le Yémen, la Chine, la Thailande, la Birmanie et le Vietnam.

Les importants moyens mis en œuvre par les autorités omanaises dans le cadre du QDP auront permis l’acquisition d’une grande quantité de données sur l’histoire de Qalhat, de l’Oman et des réseaux d’échanges de l’océan Indien au Moyen Age, données actuellement en cours de publication ou d’étude. Par suite des problèmes budgétaires qu’a connu récemment le pays, les fouilles ont été interrompues en 2016 et seuls les travaux de conservation ont été poursuivis, jusqu’en 2018, à un rythme réduit malgré l’inscription du site sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco en juillet 2018. Les travaux de mise en valeur pour la réalisation du parc archéologique sont également en attente.

Articles

  • Rougeulle A. et al. sous presse. Qalhat, a medieval port city of Oman. From a field of ruins to UNESCO. Archaeopress, coll. The Archaeological Heritage of Oman (n°12).
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