Disparition d’Abdallah Cheikh-Moussa
C’est avec beaucoup de tristesse que nous venons d’apprendre le décès soudain de notre collègue et ami Abdallah Cheikh-Moussa, professeur émérite à Sorbonne Université Lettres et membre de notre équipe Islam médiéval, survenu cet été. Celles et ceux qui l’ont connu savent qu’il était d’une grande discrétion et n’aimait pas les hommages, mais il est très difficile de ne pas évoquer, en quelques lignes, ce qu’il représentait pour ses étudiants, ses collègues et plus généralement pour les études arabes médiévales.
Né à Tunis en 1951, il a d’abord fait des études de sociologie à l’Université Paris 10-Nanterre et d’arabe à l’Université Paris 3. Après avoir obtenu l’agrégation d’arabe en 1978, il enseigna dans le secondaire avant d’être détaché (1981) puis nommé maître-assistant à l’Université Paris 8 (1983-1986). Dès cette époque il se consacra à l’étude et à l’enseignement de la littérature arabe médiévale. En 1985-86, il passa une année à Damas comme pensionnaire scientifique à l’Institut français d‘études arabes (IFEAD). De retour à Paris, il occupa un poste de maître de conférences d’abord à l’Université Paris 3 (1986-1993), puis à l’Université Paris 8 (1993-1998). L’obtention de son doctorat d’État en 1997, intitulé « De l’adab. Littérature arabe et société à l’époque classique » (Paris 3, dir. Mohammed Arkoun), lui permit d‘obtenir dès l’année suivante le poste de professeur de littérature arabe classique à l’Université Paris 4 Sorbonne (actuelle Sorbonne Université Lettres) au sein de laquelle il a formé plusieurs générations d’étudiants et de doctorants (22 thèses soutenues sous sa direction et la dernière soutenance a eu lieu en mars 2025).
Dans ses travaux, Abdallah Cheikh-Moussa a porté une attention particulière au célèbre prosateur al-Jāḥiẓ (m. déc. 868 ou janv. 869), à l’écriture de soi, aux Miroirs des princes (qui furent au cœur des recherches qu’il mena en 1995-1996 au Wissenschaft Kolleg zu Berlin), aux traités érotologiques ainsi qu’aux figures de la marginalité et de l’altérité en Islam et plus généralement à la nature, aux fonctions et aux enjeux de l’adab. Il fut toujours soucieux de découvrir de nouvelles sources et d’en éditer certaines, de les analyser d’un point de vue littéraire, bien sûr, mais sans jamais se départir de son regard d’historien et de sociologue. C’est en cela qu’il incarnait lui-même cette figure de l’adīb qui l’a tant passionné.
Abdallah Cheikh-Moussa fut non seulement un remarquable pédagogue et un grand savant, mais il exerça aussi d’importantes responsabilités éditoriales dans différentes revues scientifiques. La revue internationale de référence pour les études arabes, Arabica, dont il fut membre du comité de direction (depuis 1988) et dont il assura la direction adjointe (2004-2009) puis la direction pleine et entière (2009-2013) lui doit énormément.
Toutes celles et ceux qui l’ont fréquenté ou sollicité n’ont pu qu’admirer l’étendue de sa culture arabe et occidentale, son sens du service public, son indéfectible curiosité, sa rigueur et son exigence scientifique, sa disponibilité et son amour de la transmission. Avec sa disparition, nous perdons une figure majeure des études arabes classiques.
Equipe Islam médiéval