Mission Archéologique d’Aghmat (MAA) : étude, conservation et valorisation de la capitale médiévale du Haouz (Maroc)

Présentation :

Fig.1 Paysages de la région d’Aghmat © cliché MAA

La ville d’Aghmat, établie au pied du Haut Atlas, fut le principal pôle urbain, économique, agricole et spirituel du sud du Maroc médiéval, jusqu’à ce que Marrakech, fondée à moins de 30 km de distance, ne viennent progressivement la supplanter dans ce rôle à partir du XIIe siècle. Largement désertée depuis la fin du XIVe s., Aghmat se présente aujourd’hui comme un immense gisement archéologique enfoui sous les champs et sous le bourg actuel de Ghmat qui en constitue l’ultime héritier. Depuis 2005, la Mission Archéologique d’Aghmat (MAA) se consacre à l’étude de cette capitale méconnue, à la protection de ses vestiges et à la valorisation de ces derniers dans l’espoir d’ouvrir un jour le site au public.

Contexte historique et géographique du site

Le site archéologique d’Aghmat se développe sous l’actuel centre-bourg du village moderne de Ghmat, à 30 km au sud-sud-est de Marrakech. Etablie au pied du Haut-Atlas, sur la rive ouest de l’oued Ourika qui lui fournissait l’essentiel de ses ressources en eaux, la ville médiévale est aujourd’hui presque invisible dans le paysage agricole de la région, dominé par la culture de l’olivier et des plantes d’agrément (Fig. 1). En partie condamné sous les constructions modernes, l’essentiel de l’emprise du site, estimé à environ 100 hectares, est toutefois localisé sous des terres agricoles et de ce fait reste, faute de mécanisation, largement préservé et théoriquement accessible à la fouille.

Fig.2 Le hammam médiéval d’Aghmat à la veille des premières fouilles © MAA

Les origines de la cité restent à ce jour obscures. Elle émerge dans l’histoire au début du IXe siècle comme atelier de frappe idrisside puis est décrite dans les textes comme un carrefour commercial majeur, une ville florissante et un très important centre de production agricole, développé sur les rives de l’oued Ourika. Bénéficiant d’un statut d’émirat indépendant jusqu’au XIe siècle, Aghmat est investie aux environs de 1058 par les Almoravides qui, au sortir du Sahara, la choisissent comme première capitale de leur empire maghrébin. La ville est toutefois supplantée dans cette fonction environ deux décennies plus tard à l’occasion de la fondation de Marrakech, sortie de terre à une trentaine de kilomètres au nord. L’essor de Marrakech ne sera pas sans porter ombrage à la prospérité et au rayonnement d’Aghmat qui demeure néanmoins une cité dynamique, influente et de dimensions importantes jusque dans le courant du XIVe siècle avant de décliner inexorablement – tout comme d’ailleurs Marrakech à la même époque. Au XVIe siècle, Léon l’Africain révèle que la ville a changé d’aspect et qu’elle est désormais pour partie ruinée et pour partie occupée par des habitants ruralisés tandis que sa sœur Marrakech est sur le point d’être revitalisée par la dynastie saadienne pour en faire de nouveau une capitale. Malgré cette divergence dans le destin des deux cités, Aghmat, qui a perdu son poids démographique et politique, conserve néanmoins, et ce jusqu’à aujourd’hui, une puissance économique importante du fait de son terroir agricole productif et un rôle symbolique de premier plan puisqu’elle est devenue l’objet d’un pèlerinage pieux, tourné vers la visite des tombeaux de saints personnages inhumés dans la région.

Historique et objectifs du programme

Fig.3 Localisation de la réserve archéologique d’Aghmat © document MAA sur une base Google Earth)

La Mission Archéologique d’Aghmat (MAA) est née en 2005 sous l’appellation originale de Moroccan-American Project at Aghmat (MAPA). Ce programme a été initié sous l’impulsion de Frederick Vreeland, ancien ambassadeur des USA au Maroc, et de son épouse, Vanessa Vreeland, désireux de financer une campagne de restauration du hammam de Ghmat, vestige spectaculaire de la ville médiévale encore préservé en élévation au cœur du village (Fig. 2). Initiées et coordonnées par l’archéologue américain Ronald Messier (1944-2021), professeur d’histoire de l’Islam à la Middle Tennessee State University, les trois premières missions du MAPA ont ainsi été consacrées à l’étude et à la consolidation de ce monument exceptionnel, le plus grand hammam médiéval du Maghreb Extrême à ce jour documenté. De 2007 à 2016, une restructuration durable du programme a ensuite permis d’élargir le champ d’investigation du MAPA à l’ensemble du quartier entourant le monument du hammam (fig. 2), tout en continuant d’y associer des campagnes de préservation des vestiges mis au jour. Placé alors sous la tutelle de la Direction du Patrimoine (Ministère de la Culture), le MAPA s’est vu pendant environ 10 ans épaulé par la Fondation Aghmat (présidée par Abdallah Alaoui), structure de droit privé héritière du mécénat original de la famille Vreeland, chargée d’assurer une grande partie du financement du projet. Ainsi, dans une configuration à ce jour unique au Maroc, ce partenariat public-privé a permis le développement spectaculaire du MAPA en bénéficiant de financements principalement issus du mécénat. Engagé en 2008, un effort financier public exceptionnel a par ailleurs permis l’acquisition progressive, par le Ministère de la Culture, du terrain de 2,5 hectares où ont été mis au jour les principaux vestiges du site et ce afin de les préserver de la spéculation foncière, très active autour de Marrakech (fig. 3).

Fig.4 Exemple de panneau informatif placé sur le parcours de visite urbain du bourg de Ghmat © cliché MAA

En 2016, une nouvelle restructuration administrative et scientifique a permis la redéfinition du programme archéologique d’Aghmat à mesure du désengagement progressif du directeur historique de la mission, Ronald Messier. Désormais rebaptisé Mission Archéologique d’Aghmat (MAA) : étude, conservation et valorisation de la capitale médiévale du Haouz, le projet a connu une évolution sensible de son orientation scientifique : en plus de ses travaux d’étude et de conservation, la mission  travaille à la mise en valeur du site, dans l’objectif de son ouverture au public (Fig. 4), à l’étude environnementale et territoriale d’Aghmat et au développement d’une capacité d’action en matière d’archéologie préventive, dans un village où la pression immobilière grandit au fil des années. Aujourd’hui dirigé par Abdallah Fili (université Chouaib Doukkali), responsable du projet dès ses débuts en 2005, par Chloé Capel (CNRS), membre de l’équipe depuis 2010, et par Mohamed Belatik (INSAP) ayant intégré l’équipe de coordination en 2019, la MAA fait partie des programmes soutenus par l’INSAP (Maroc) et par l’UMR Orient & Méditerranée (France) (Fig.5).

Fig.5 L’équipe de la campagne de fouilles 2018 de la MAA © MAA

Intérêt scientifique et problématiques archéologiques

En étant largement désertée à la fin du XIVe siècle, la ville d’Aghmat présente le destin singulier d’avoir été figée dans son état d’abandon de la fin du Moyen-Age. Estimée à environ 70 hectares intra-muros, délimités par une muraille ancienne dont le tracé a été reconnu dans de grandes sections, Aghmat reste dans l’état actuel de l’urbanisation accessible aux archéologues sur plus de la moitié de son emprise (fig. 6). Ainsi le potentiel scientifique de ce gisement se révèle exceptionnel, dans un contexte où l’immense majorité des villes médiévales ont été condamnées sous les occupations contemporaines.

Fig.6 Plan de localisation des vestiges archéologiques à Ghmat © MAA

Aghmat constitue donc une chance unique de développer une étude approfondie, sur le temps long et sur de vastes emprises, d’une grande ville médiévale, de son organisation spatiale, de son histoire architecturale, de sa culture matérielle, de sa structuration sociale, de sa chronologie, de ses logiques de développement et de ses modes d’occupation. Indirectement, l’étude d’Aghmat permet par ailleurs d’ores-et-déjà de mieux appréhender l’histoire archéologique, méconnue, de Marrakech avec laquelle elle semble partager une trame et des dynamiques urbaines communes, ce qui constitue, par ricochet, l’intérêt ultime de la MAA.La Mission Archéologique d’Aghmat travaille depuis 2005 dans le quartier monumental de la ville, qui rassemble les organes de représentation politique et religieuse de la cité médiévale (grande mosquée, palais, hammam public, réserves en eau). Son espace d’investigation est actuellement de 3,7 hectares de terrain, constitués en réserve archéologique, avec une emprise déjà fouillée au sol d’environ 4 000 m² (fig. 7). En raison de l’état de préservation admirable des vestiges de la dernière phase d’occupation de la ville (XIVe siècle), la MAA a opté pour une stratégie de fouille en aire ouverte limitée à l’étude de ces ultimes aménagements afin de préserver l’outil pédagogique exceptionnel que constitue ce gisement, dans l’optique de son ouverture future au public. Toutefois, la MAA opte pour une stratégie d’investigation différente dans tous les secteurs touchés par le pillage : dans ces zones  où les structures superficielles ont déjà largement disparu, les fouilles sont poursuivies jusqu’au sol vierge, afin de documenter toute la puissance stratigraphique de la ville et ainsi ouvrir autant de fenêtres sur

Fig.7 Le secteur d’habitat des riad en cours de fouille © MAA

l’histoire ancienne de la cité. L’amplitude chronologique pour le moment arrêtée s’étend du Xe au XVIIe siècle, avec une rupture marquée des modes d’occupation correspondant au XIVe siècle (phénomène de ruralisation). Alors que pour le moment les travaux de fouille se concentrent dans le quartier monumental, la MAA a récemment développé des enquêtes sur l’organisation territoriale, et notamment hydraulique, du site et travaille à la réalisation d’une carte archéologique de la région. Dans le même temps, la MAA espère pouvoir ouvrir à l’avenir de nouveaux secteurs de fouille dans d’autres quartiers de la ville médiévale, notamment dans ses quartiers artisanaux ou ses quartiers d’habitat, et ainsi participer à élargir l’emprise de la réserve archéologique.

 

Articles

  • FILI A., MESSIER R., CAPEL C., HÉRITIER-SALAMA V., 2014. « Les palais mérinides dévoilés : le cas d’Aghmat », dans Y. Lintz, C. Délery, B. Tuil Leonetti (dir.), Maroc Médiéval : un empire de l’Afrique à l’Espagne, Hazan – Louvre Editions, Paris, p. 446-450.
  • FILI A., MESSIER R., 2015. « Le hammam d’Aghmat (Xe – XIVe siècles) », dans A. Akerraz, A.S. Ettahiri, M. Kbiri Alaoui (dir.), Hommage à Joudia Hassar-Benslimane – Tome II, INSAP, Rabat, p.345-362. https://www.academia.edu/25639089/Hammam_dAghmat_Xe_XIVe_S_
  • HÉRITIER-SALAMA V., CAPEL C., FILI A., MESSIER R., 2016. « De la ville aux champs. La transformation d’Aghmat (Maroc) entre les XIVe et XVIe siècles » dans C. Müller et M. Heintz (éd.), Transitions historiques : rythmes, crises, héritages, 12e colloque de la MAE, De Boccard, Paris, p. 195-208. https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01632155v1
  • FILI A., DELERY C., MESSIER R., 2016. « Les céramiques de cuerda seca découvertes au hammam d’Aghmat », Bulletin d’Archéologie Marocaine, 23, pp. 283-297. https://insap.ac.ma/?p=18233
  • HERITIER-SALAMA V., 2019. « Canaux anciens et puits récents : usages de l’eau d’irrigation, identité et territoire dans le Haouz (Maroc), Développement durable et territoires, 10-3, Villeneuve-d’Asc. https://journals.openedition.org/developpementdurable/15758
  • ROS J., BADRI F.-E., CAPEL C., HERITIER-SALAMA V., FILI A., « First archaeobotanical contribution to the history of food production and agriculture at Aghmat (Morocco) between the 11th and the 17th c. », Journal of Archaeological Science, 38, Elsevier, Oxford https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S2352409X21001553?via%3Dihub