Lalibela : histoire et archéologie d’un site rupestre

Lalibela est un enchevêtrement d’églises, de galeries souterraines et de tranchées à ciel ouvert, de cours et salles troglodytiques. La première des activités a consisté à identifier les zones où des données archéologiques pouvaient être piégées : 1) identification des tas de déblais issus du creusement des monuments ; 2) lecture stratigraphique des monuments ; 3) repérage d’un cimetière à proximité des églises). Ces trois potentiels ont été exploités en menant des fouilles et des observations stratigraphiques, croisées avec l’analyse des textes historiques figurant dans les manuscrits, les inscriptions sur les parois des églises et sur des meubles toujours conservés dans celles-ci, avec l’analyse des aménagements liturgiques et de leurs évolutions ; avec l’étude des programmes picturaux et architecturaux, afin de caler une chronologie.

Vue par drone de deux groupes (nord-ouest, sud-est) de Lalibela, @Mission Lalibela, Archéovision 2020.

Les observations stratigraphiques réalisées sur les monuments ont permis de proposer un séquençage des creusements (Fauvelle et al., 2010). Les deux premières phases sont antérieures à la réalisation d’églises. Le rocher situé directement sous la surface est alors exploité, en aménageant d’abord des galeries (phase « troglodytique ») qui tirent parti d’ouvertures naturelles. Quelques petites chambres en forme de dôme sont également creusées. Puis, dans un deuxième temps (phase « hypogée »), de larges salles souterraines sont dégagées, inscrites un peu plus profondément dans le socle rocheux.

Lors d’une troisième phase, appelée « Monumental 1 », les églises sont aménagées, sculptées dans la roche pour pasticher des bâtiments construits. Le site n’est plus alors tout à fait souterrain. Cette transformation est à l’origine d’une phase ultime, « Monumental 2 », qui s’identifie par un abaissement des niveaux extérieurs des monuments afin de lutter contre l’érosion liée à l’eau et permettre l’évacuation des eaux de pluie emprisonnées dans les cours à ciel ouvert. Ces surcreusements réguliers entrainent la réalisation de nouveaux programmes architecturaux transgressant les programmes antérieurs.

Cette analyse stratigraphique a permis d’établir une chronologie relative du site, qu’il faut caler dans le temps. L’analyse du paysage de Lalibela a permis de reconnaître des zones de déblais issues du creusement, où sont piégées des données archéologiques (Bosc-Tiessé et al., 2014). La fouille de l’un de ces tas de déblais dans le groupe 2 d’églises – sur un site dénommé Qeyit Terara – a permis de mettre au jour une succession de structures circulaires, encloses par un mur d’enceinte. La première occupation est datée au carbone 14 du XIe-milieu XIIe siècle et correspond à une structure creusée dans le substrat. S’en suit une reprise tardive de la structure par une maçonnerie entre le milieu du XIe siècle et le milieu du XIIIe siècle. Par la suite, les niveaux de remplissage du tas de déblais ont été identifiés, correspondant à une occupation domestique du XVIIe-XVIIIe siècles. Ces données issues des fouilles mettent en lumière un complexe fortifié, articulant architecture bâtie et architecture creusée, salles souterraines et enceintes s’élevant plusieurs mètres au-dessus de la surface, installé avant le règne de Lalibela et avant la transformation en églises des salles souterraines et la taille de nouveaux monuments.

La fouille du cimetière de Qedemt (Gleize et al., 2015), situé au nord des églises, apporte quant à elle des données complémentaires concernant les pratiques funéraires. Trois phases d’occupation ont été identifiées : la phase A (XIe-XIIIe s.), correspondant à des pratiques funéraires diverses (orientations multiples), avec du mobilier céramique associé aux sépultures ; la phase B (XIIIe-XVe s.) durant laquelle les sépultures sont plus nombreuses et orientées spécifiquement est-ouest (qui correspond à la norme chrétienne) ; et la phase C (XVe-XVIIIe s.) qui est celle d’une densification et d’une extension de l’espace funéraire. La phase A, que l’on peut associer aux structures mises en évidence à Qeyit Terara, semble donc correspondre à une grande diversité des pratiques funéraires, qui renvoie peut-être à une diversité des adhésions religieuses avant le XIIIe siècle.

Vue par drone de deux groupes (nord-ouest, sud-est) de Lalibela, @Mission Lalibela, Archéovision 2020.

Photogrammétrie de la paroi sud de l’église de Golgotha (Lalibela, 1er groupe), @mission Lalibela, Archéovision, 2020.

Les trois groupes d’églises de Lalibela et la localisation de Qeyit Terara, @Mission Lalibela, Romain Mensan, 2021.

Les structures creusées et bâties mises au jour sous le tas de déblais à Qeyit Terara, @Mission Lalibela, Romain Mensan, 2021.

 

Articles

2022

Giovannacci, J.D. Mertz, Blen Taye Gemeda, A. Garric, R. Mensan, “Non-Destructive Analysis to Investigate the Stone Alterations at a UNESCO World Heritage Site”, Journal of Human, Earth, and Future, vol. 3 (2), p. 147-158.

2021

M-L. Derat, C. Bosc-Tiessé, A. Garric, R. Mensan, F.-X. Fauvelle, Y. Gleize, “The Rock-Cut Churches of Lalibela and the Cave Church of Washa Mika’el: Troglodytism and the Christianization of the Ethiopian Highlands”, Antiquity vol. 95 (380), p. 467-486.

C. Bosc-Tiessé, S. Mirabaud, D. Morana-Burlot, A. Gaillard, C. Maujaret-Guiné, « Peintures et sculptures à Lalibela. Matériaux, processus techniques et strates d’histoire », Patrimoines. Revue de l’Institut National du Patrimoine, vol. 16 (2021), p. 93-98.