Projet Béthesda (Domaine national français de Sainte-Anne)

_ Coordonnées : 31°46’52.34″N / 35°14’10.68″E

_ Responsable : Claudine Dauphin (UMR 8167 – Monde byzantin)

_ Équipe : Mohamed Ben Jeddou (chercheur invité et associé, UMR 8167 – Monde byzantin) : géomatique, PAO ; Omar Abed Rabbo (Dar al-Kalima College, Bethlehem) : épigraphie arabe ; Caroline Arnould-Béhar (Département d’Histoire Institut Catholique, Paris) : ex-votos du temple de Sérapis ; Ariel Berman, numismate ; Georges Kiourtzian (Bibliothèque byzantine, Collège de France, Paris) : épigraphie grecque ; Sean A. Kingsley (Directeur, Wreck Watch Int., London) : céramologie.

Peu après la destruction des Lieux Saints de Jérusalem par les Perses et leurs alliés juifs le 5 ou 17 mai 614 et leur reconstruction sous la houlette de Modeste, vicaire épiscopal, le futur Patriarche de Jérusalem Sophrone s’écriait depuis Alexandrie, mêlant nostalgie et ardent désir mystique: « Entrant à la sainte Probatique où l’illustre Anne enfanta Marie, pénétrant dans le temple restauré de la très pure Mère de Dieu, je couvrirai de baisers les murs qui me sont chers… Que je voie donc l’endroit d’où le paralytique, rendu à la santé sur l’ordre du Verbe, s’en alla portant son lit » (Anacreonticon 20: 81-94). Ainsi se confondaient le souvenir du récit évangélique de la guérison du paralytique par Jésus « près de la Probatique » à la piscine Béthesda aux cinq portiques (Évangile selon Saint Jean 5, 1-9) et celui de la maison natale de la Vierge Marie rapportée par le Protoévangile de Jacques (IIe siècle) comme étant proche du temple de Jérusalem et aux abords de deux piscines jumelles. Ces deux traditions étaient commémorées conjointement à l’époque byzantine en l’Eglise « du Paralytique », « de la Piscine aux moutons » ou « Sainte-Marie de la Probatique » selon Jean Rufus (Vit. Petr. Ib. 99), Théodose (Itin. 8b) ou le Pèlerin de Plaisance (Itin. 27), imposante basilique qui enjambait les deux bassins grâce à un système de piliers et d’arches.

_ Ce double sanctuaire tombé en ruine et remblayé, fut peu à peu enfoui dans le terrain entourant l’église Sainte-Anne des Croisés, propriété franque à l’époque de Godefroy de Bouillon, Roi de Jérusalem, devenue la madrasa (école coranique) Salahiya en 1192 après la prise de Jérusalem par Saladin. Ce domaine que les vicissitudes de l’Histoire avait fait échoir à la Sublime Porte, fut offert à la France en 1856 par le Sultan Abdul Majid, en remerciement pour le soutien de cette dernière pendant la guerre de Crimée. Gérée au nom de la France depuis 1878 par les Pères Blancs – Missionnaires d’Afrique, cette propriété juridiquement Domaine national français dans la Vieille Ville de Jérusalem sous occupation israélienne depuis 1967, se trouve sous l’égide du Consulat général de France à Jérusalem et du Ministère français des Affaires Étrangères.
Le site de la Piscine probatique a été étudié archéologiquement entre 1863 et 1967 au cours de plusieurs fouilles pas toujours scientifiques et dont les résultats n’ont jamais été publiés intégralement. En 1952, un pavement de mosaïque polychrome fut découvert et dégagé par le Père Michel Defrennes, pb (+) immédiatement au nord du tracé de la basilique byzantine Sainte-Marie de la Probatique, et interprété comme appartenant à un martyrion accolé à cette dernière, d’où son appellation « Mosaïque du Martyrion ». L’examen et l’étude de cette mosaïque (A) en 1994 par Claudine Dauphin ont révélé trois pavements superposés, dont elle représente l’élément le plus ancien.

Désormais protégée afin de pallier à sa détérioration par les intempéries en attendant sa dépose, restauration et remise in situ, la mosaïque du Martyrion (premier tiers du Ve siècle ap. J.-C.) offre un tapis de cercles, fuseaux couchés et croix de Malte entouré d’une bordure de triangles à gradins et d’une tresse à trois brins. Telles des reliquaires incrustés de pierres précieuses, les croix sont « gemmées » – les quatre sommets et le centre de chacune sont ornés de pierres de couleurs. Les cercles contiennent des fleurs roses et ocre-rouge aux pétales étalés, des roses et des boutons de roses, des lys gris-verts et noirs ou lie-de-vin cruciformes, des nénuphars et des grappes de raisin. Les tesselles sont de calcaire de couleurs provenant des collines de Judée, à l’exception du vert olive en pâte de verre. La mosaïque B est décelable uniquement en coupe et daterait du VIe siècle, liée à une rénovation du Martyrion financée par une importante donation ou rendue nécessaire par des déprédations origénistes dans le cadre de la véritable guerre civile qui embrasa la Ville Sainte entre 540 et 554 opposant origénisme et orthodoxie. Endommagée pendant le sac de Jérusalem par les Perses le 5 ou 17 mai 614 , puis remblayée, la mosaïque B fut recouverte par un nouveau pavement (C). Décoré de feuilles de lierre noires et ocre-rouge se détachant d’un fond blanc, il fut posé entre 617 et 628.

_ Afin de rattacher ces mosaïques à une chronologie absolue plutôt que de les inscrire uniquement dans une séquence stratigraphique et stylistique, il était impératif de les replacer dans leur contexte archéologique, architectural et historique. Consultant depuis l’automne 1994 auprès des Pères Blancs de Sainte-Anne en accord avec le Ministère français des Affaires Étrangères et le Consulat Général de France à Jérusalem pour tous les problèmes archéologiques sur le site de la Piscine probatique ainsi que pour le Musée archéologique des Pères Blancs, C. Dauphin mit en chantier en 1995 un programme de recherches topographiques, archéologiques, architecturales et historiques visant à la publication définitive et scientifique de l’histoire de la Piscine probatique – le Projet Béthesda. _ Les relevés archéologiques et l’analyse de stratigraphie architecturale menés de 1995 à 1999 par le Dr S. Gibson (W.F. Albright Institute of Archaeology, Jerusalem) ont mis en lumière neuf stades de construction : Haute époque romaine (fin du Ier siècle av. J.-C. – 70 ap. J.-C.), la construction des deux bassins de la piscine probatique étant datée au plus tard en 22 av. J.-C. ; Basse époque romaine (milieu du IIe-IVe siècles) marquée par des rites païens de guérison associés à Sérapis, Esculape et Hygée ; début de l’époque byzantine (Ve siècle à 614) ; époque byzantine tardive / époque omeyyade (614-750) ; époque abbasside / fatimide (de 750 au XIIe siècle); Royaume latin de Jérusalem (XIIe siècle); époque ayyoubide / mamelouk (XIIIe-XVe siècles); époque ottomane (1517-1800) ; époque ottomane tardive (1800-1865).

_ Si les sources textuelles attestent que la basilique Sainte-Marie de la Probatique continua à servir au culte jusqu’au milieu du Xe siècle, la date-butoir de l’utilisation et de la vénération de la Piscine probatique a été établie grâce à une confluence d’indices recueillis au cours des fouilles de C. Dauphin dans le Bassin Sud (octobre 1999). Le Bassin Sud fut abandonné et son remblayage débuta au IXe-Xe siècle abbasside.

_ Affiliations :
Domaine national français de Sainte-Anne: Missionnaires d’Afrique, Pères Blancs ;
Consulat Général de France à Jérusalem ; Direction du Patrimoine et de la Décoration, Ministère français des Affaires Étrangères.


_ Publications

_ Bouwen, F. et Dauphin, C. (dir.) La Piscine probatique de Jésus à Saladin. Le Projet Béthesda (1994-2010), Numéro Spécial de Proche-Orient Chrétien, Jérusalem, 2011 (200 p., mise ne page graphique de 118 cartes, plans, coupes, dessins au trait, photographies en couleurs et noir-et-blanc par C. Dauphin et M. Ben Jeddou).
_ Dauphin, C. « Sainte-Anne de Jérusalem : Le Projet Béthesda », Proche-Orient Chrétien 55, 2005, p. 254-262.
_ Dauphin, C. « Ste-Marie de la Probatique à Jérusalem (territoire français): mosaïques de pavement, stratigraphie architecturale et histoire événementielle », dans H. Morlier (dir.), La mosaïque gréco-romaine IX, Collection de l’École française de Rome 352, l’École française de Rome 2005, Vol. I, p. 247-261.
_ Gibson, S. « The Pool of Bethesda in Jerusalem and Jewish Purification Practices of the Second Temple Period », Proche-Orient Chrétien 55, 2005, p. 270-293.