Séminaire : Pourquoi écrire ? Raisons et pratiques d’écriture, en Égypte ancienne et au-delà

les 2e et 4e mercredi du mois, de 14h30 à 16h30 tout au long de l’année 2023-2024
 INHA, salle Mariette.

Les représentations dites de la vie quotidienne, peintes sur les murs des tombes des dignitaires égyptiens, frappent le visiteur par leur richesse et leur variété. Parmi elles, des scènes d’écriture montrent un ou plusieurs scribes, généralement anonymes, qui enregistrent le tribut, le produit des récoltes, ou encore les taxes payées. Cette scène, malgré son apparente précision documentaire, relève du monde sacré et funéraire : le tableau illustre d’abord le pouvoir symbolique de l’acte d’écrire, qui montre à la fois la puissance de contrôle de l’État et l’insertion de son représentant, le défunt, dans cette mécanique.

Alors que ces monuments se visitent aujourd’hui dans la pénombre et le demi-silence, avec le sentiment diffus de transgresser les limites d’un espace destiné à rester scellé, ces chapelles constituaient en leur temps des espaces publics ou semi-publics, accessibles aux vivants, à qui revenait la charge de pourvoir au culte funéraire du défunt. Hézyrê, l’un des grands personnages du royaume égyptien au début de l’Ancien Empire, sous Djoser (IIIe dynastie, v. 2650 av. n. è.) met en scène son identité de scribe dans son tombeau, une  véritable sculpture architecturale qui fonctionne comme un spectacle d’écriture : le visiteur parcourt le long et étroit corridor de la chapelle et voit surgir, niche après niche, Hézyrê, sculpté en pied sur de grands panneaux de bois, muni de son matériel d’écriture et entouré de hiéroglyphes qui sont chacun comme autant de petites sculptures.  Au Nouvel Empire (v. 1550-1070 av. J-C), les membres d’une petite élite lettrée visitent à leur tour les chapelles funéraires du passé et  s’acquittent de l’hommage au mort par leurs moyens propres, en laissant sur les murs de la tombe, au sein même de la décoration, leurs signatures et messages, tracés en général d’une belle main littéraire. Ce faisant, ils répondent aux appels du défunt à lire le décor et à prononcer des prières à son bénéfice, mais ils annexent aussi à leur propre profit cet espace efficace entre tous qu’est la tombe, pour laisser leur nom à la postérité, ajouter leur signature à la communauté des autres graffitistes, ou dialoguer directement avec le divin.

Deux moments, deux théâtres d’écriture qui rappellent que l’écriture est bien davantage qu’un outil au service d’une parole, d’un message ou d’une mémoire, et qu’au-delà du signifié, l’écriture a un pouvoir social construit, en lien avec sa forme graphique, mais aussi son contexte matériel et social d’inscription et de réception.

Ce séminaire explorera ces lieux, avec l’éclairage des sciences sociales, pour identifier des acteurs et leurs statuts, observer des pratiques multiples, démêler l’enchevêtrement des signes qui composent ces discours multidimensionnels. Nous mettrons ainsi en place, en avançant dans les moindres recoins de ce dispositif architectural, les questions centrales de ce séminaire de chaire : statut de l’écriture et choix de l’écriture comme outil jugé apte à l’affirmation de la tradition, du statut social, de l’action politique et de la distinction personnelle parmi les autres formes de représentation et d’expression disponibles, comme les rites, les échanges ou l’oralité.

Méthodologiquement le séminaire alternera différents moments :

 1) l’examen des usages sociaux et symboliques de l’écrit en Égypte ancienne à partir des origines, à la lumière de la visite intellectuelle de la tombe d’Hézyrê et des monuments signés par les scribes du Nouvel Empire ;

2) des lectures historiographiques sur l’invention de l’écriture et sur ses rôles sociaux ;

3) et enfin un dialogue comparatiste, en particulier avec les objets de recherche des étudiants participants au séminaire et des collègues invités.

 

Le séminaire ne présuppose pas de compétence linguistique ou historienne sur l’Égypte ancienne.