Spectacles d’écritures

L’écriture est bien davantage qu’un outil au service d’une parole, d’un message ou d’une mémoire ; elle ne consiste pas seulement à transmettre ou conserver un propos. Au-delà du signifié, l’écriture a un pouvoir social fort, en lien avec sa forme graphique, mais aussi son contexte physique et social d’inscription et de réception. Ce projet interroge largement les usages sociaux et symboliques de l’écriture à travers l’étude d’un phénomène révélateur, particulièrement propice au comparatisme.

Ce projet vise en effet à recenser les épisodes où un acte d’écriture est narré dans le discours et l’iconographie, ce qu’on appellera des « spectacles d’écritures ». Ces cas d’ostentation de l’acte d’écrire doivent nous permettre de voir comment l’écriture et quels types d’écriture sont utilisés. Les textes d’auto-présentation comme les biographies funéraires, annales historiques ou inscriptions commémoratives seront considérés en priorité mais les épisodes d’écriture mentionnés dans d’autres genres seront aussi pris en considération en contrepoint (textes funéraires ; littérature narrative ; textes sapientiaux et didactiques ; geste royale ; documents de la pratique, comme les lettres, les procès verbaux, etc.). On considérera également l’iconographie, par exemple pour le monde égyptien, le programme décoratif des tombes de particuliers, qui rentre dans la logique de présentation de soi au sein d’un décorum établi.
On peut y ajouter les cas où le document est montré dans un contexte symbolique, soit qu’on le cite, soit qu’on le représente notamment dans l’art avec l’insertion de documents manuscrits dans l’iconographie ou en accompagnement d’une statue.

Ce projet se concentrera donc sur la représentation que se faisaient les anciens de l’acte d’écrire :

  • comment mentionne-t-on l’acte d’écrire ? Quelle est la valeur sociale et symbolique de l’acte d’écriture : pourquoi le montre-t-on ? (études de lexique, d’iconographie, des formulaires et de paléographie…)
  • quel rôle joue l’écrit et l’acte écrit dans l’établissement du savoir et de la vérité, d’une identité ou d’un prestige personnel ?
    • quel statut est donné au signe écrit, dans les opérations de contrôle mais aussi dans les interactions avec le divin et le monde sacré et magique ?

    La recherche sera présentée et élaborée sous forme de journées thématiques (trois par an sur deux ans)* permettant d’aborder la question à travers un aspect précis illustré par chaque participant dans sa culture d’étude
    1. Les mots de l’écriture : comment désigne-t-on l’acte d’écriture dans les différentes cultures concernées ? Les termes qui renvoient à l’écriture dans différentes langues (« écrire, dessiner, tracer, faire… ») permettent de mettre en évidence et de comparer la compréhension de l’acte d’écriture dans différentes langues. Au-delà, on pourra aussi pister le discours sur le travail d’écriture pour en faire apparaître les points saillants. On touche alors à la question du savoir-faire et des compétences.

    2. Transmission et enseignement de l’écriture : cette journée comparera les modes de transmission, institutionnel ou non, de l’écriture et des savoirs d’écriture : écoles, apprentissage familial, tuteur, apprentissage en milieu professionnel, etc. Ce sera en particulier l’occasion de faire le point sur qui sont les spécialistes de l’écriture dans les aires représentées.

    3. Les spectres graphiques : on entend par là les différentes écritures en usage dans une culture spécifique, des formes les plus cursives au plus monumentales. On s’intéressera en particulier à la valeur symbolique des choix et des usages d’une écriture par rapport à une autre. Une façon de mettre en évidence ce discours graphique pourra être de considérer des transfuges graphiques (usage d’une écriture monumentale en contexte manuscrit par exemple, ou vice-versa) ou la juxtaposition de plusieurs scripts dans le même espace graphique.

    4. Les représentations iconographiques et narratives de l’acte d’écriture : on se mettra à la recherche des événements d’écriture, des cas où une personne ou des scribes sont montrés en train d’écrire par exemple, que ce soit dans le discours iconographique ou textuel, et le sens à donner à la relation de tels épisodes. Pourront probablement être comparés dans plusieurs cultures les passages narratifs dans lequel un texte raconte les conditions, fictives ou réelles, de sa mise par écrit.

    5. Valeur sociale et symbolique du document écrit : au-delà de son contenu textuel, quelle est la valeur symbolique, en termes d’affirmation du pouvoir, du document montré ? Et en contexte légale, quelle valeur prend le document ? On pourra aussi penser à la mention de documents écrits dans des inscriptions monumentales, ou encore la représentation de manuscrits, livres, phylactères en contexte monumental.

    6. Usages rituels et magique de l’écriture en acte : quel pouvoir magique attribue-t-on à l’écriture et au texte inscrit ? Ce pouvoir peut être performatif, le texte provoquant alors l’acte, la protection ; la « trace écrite peut être destinée à la survie à travers les âges. On pourra alors considérer amulettes, de textes religieux ou magiques, de signes isolés ou d’inscriptions lapidaires ou rupestres. Y-a-t-il des paléographies à privilégier pour communiquer avec les dieux ?

    Résultats escomptés :

      • – 1 ouvrage collectif issu des journées d’étude : chapitres rassemblés par thème présentant le contexte général dans la culture choisie et la situation sur le thème, puis abordant quelques études de cas en traitant des problématiques mises en avant durant la journée d’études. (3e année)

        1. – 1 colloque (fin 3e année) avec publication des actes (4e année).

    Ce sujet devrait pouvoir intégrer des recherches allant des Mondes mésopotamiens et égyptiens dès le IVe millénaire jusqu’au Moyen-Âge : Mésopotamie, Égypte, mondes phéniciens et araméens, Grèce et monde romain, monde Byzantin et Islam médiéval.
    À travers cet objet singulier et ubiquiste qu’est « le spectacle d’écriture », l’écriture sera située à la fois dans le champ social et dans le champ du discours et des représentations, en recensant les formes de valorisation (religieuse, littéraire, politique et sociale) et d’usage de l’écriture en Égypte ancienne.

    * Programmation : Une première journée (réservée aux participants) se déroulera le vendredi 25 janvier 2019 de 9h à 17h30 au Centre de Recherches Égyptologiques de la Sorbonne (escalier G, 3e étage), elle se clôturera par un cocktail et sera suivie de deux autres journées (vendredi 28 juin 2019 et vendredi 13 septembre 2019).