Thaj (Arabie saoudite)

Située dans la province orientale de l’Arabie saoudite, à 90 km à l’ouest de la côte du Golfe et du port moderne d’al-Jubayl, l’ancienne ville caravanière de Thaj est le site-clé pour la compréhension de l’histoire politique, économique, culturelle et environnementale de l’Arabie orientale et de la rive arabe du Golfe à l’époque préislamique récente. Composé d’une ville fortifiée de 40 ha, d’un faubourg de 12 ha et d’une nécropole de plus de mille tumuli, elle est en effet la plus vaste agglomération connue en Arabie orientale avant l’Islam. Les travaux antérieurs, menés par le musée Moesgård (1968) puis par le Département des antiquités d’Arabie saoudite (1983-2002), ont conduit à placer son apogée à la période dite « hellénistique » (IIIe siècle av. – Ier siècle apr. J.-C.). Ces premières données, couplées à l’emplacement privilégié du site sur la grande route caravanière reliant l’Arabie du Sud à la Mésopotamie, ont poussé certains savants à y reconnaître l’antique Gerrha, décrite par les sources grecques et latines comme l’une des deux plus riches cités de l’Arabie antique, sans toutefois que cette identification fasse consensus.

Vue satellite du site montrant la localisation des vestiges et des différents secteurs de fouille. © Mission archéologique de Thaj (CNRS/Heritage Commission). Image de fond : Bing ; cartographie : J. Rohmer

Vue satellite du site montrant la localisation des vestiges et des différents secteurs de fouille. © Mission archéologique de Thaj (CNRS/Heritage Commission). Image de fond : Bing ; cartographie : J. Rohmer

Lancée en 2016, la mission archéologique de Thaj (Thaj Archaeological Project) est le premier programme d’étude à grande échelle de ce site majeur. Elle est copilotée par le CNRS et la commission du patrimoine du Ministère de la Culture saoudien (Heritage Commission), avec le soutien de la Commission des fouilles du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères français. Cette mission pluridisciplinaire comprend non seulement un important programme de fouilles archéologiques, mais aussi un volet géo-archéologique et une série d’études spécialisées (céramologie, archéozoologie, archéobotanique, bio-anthropologie), en vue d’aboutir à une compréhension globale du site, de son environnement et de sa culture matérielle. Cinq campagnes de fouille (2016-2019, 2021) et trois campagnes d’étude (2018, 2020, 2022) ont été menées jusqu’à présent.

Vue de la nécropole de Thaj. © Mission archéologique de Thaj (CNRS/Heritage Commission)

Vue de la nécropole de Thaj. © Mission archéologique de Thaj (CNRS/Heritage Commission)

A l’échelle régionale, l’étude géo-archéologique (menée en collaboration avec le programme MEDEE) a notamment permis de restituer les variations paléoclimatiques régionales depuis le début de l’Holocène et d’identifier une dernière grande phase globalement humide entre 5.3 et 2.2 ka cal. BP (env. 3300–200 av. J.-C.). Les prospections menées par la mission montrent qu’à la faveur de ces conditions humides, le site de Thaj a été fréquenté par l’homme dès la fin du Néolithique et que d’immenses nécropoles pastorales se sont installées dans ses environs à partir de la deuxième moitié du IIIe millénaire.

À l’échelle du site, une couverture photogrammétrique par drone et des prospections géomagnétiques (menées en collaboration avec l’Institut de Physique du Globe de Strasbourg) ont permis dès 2016 de cartographier une partie significative du dernier état de la ville. Sur ces bases, plusieurs zones de fouilles ont pu être implantées dans la ville fortifiée (secteurs 2, 6, 11) et ses faubourgs (secteurs 1, 8). Parallèlement, grâce à une collaboration avec l’Institut des déserts et des steppes, un programme d’étude de la nécropole du site a été lancé, comprenant une prospection systématique et la fouille de 8 tombeaux (secteurs 3-5, 7, 12-15).

Vue aérienne de la nécropole d’al-Dhabtiyah, occupée de la seconde moitié du IIIe millénaire av. J.-C. (au plus tard) à la première moitié du Ier millénaire apr. J.-C. © Mission archéologique de Thaj (CNRS/Heritage Commission)

Vue aérienne de la nécropole d’al-Dhabtiyah, occupée de la seconde moitié du IIIe millénaire av. J.-C. (au plus tard) à la première moitié du Ier millénaire apr. J.-C. © Mission archéologique de Thaj (CNRS/Heritage Commission)

Les fouilles ont révélé une première occupation sédentaire du site, jusqu’alors insoupçonnée, dès la fin de l’âge du Fer (VIIIe-VIe siècle av. J. C.). Cette occupation est associée à des activités de construction, à une première production céramique locale et à de premières sépultures dans la nécropole. C’est cependant aux IVe/IIIe siècles av. J.¬-C. que Thaj connaît un spectaculaire développement urbain, caractérisé par des constructions monumentales, l’expansion de la nécropole, le développement des productions artisanales, l’apparition d’une écriture locale (le hasaïtique) et l’essor des échanges à longue distance. À cette époque, la ville est devenue une station commerciale majeure et probablement le siège d’une puissance régionale frappant monnaie.

Les fouilles de la porte sud-est de la ville (secteur 2) permettent désormais de dater la construction du rempart urbain de la deuxième moitié du IIe ou du Ier siècle av. J.-C. Par ses dimensions, son plan et la qualité de sa construction, ce rempart constitue un ouvrage défensif unique dans la péninsule arabique. Les fouilles ont mis au jour l’état initial de sa porte sud-est, qui était flanquée de deux grandes tours massives en projection vers l’extérieur. A l’extérieur de cette enceinte, au sud-est, se développe un faubourg comprenant notamment des installations artisanales (fours de potiers fouillés dans le secteur 1) et probablement des caravansérails. Jusqu’au début du IIIe siècle apr. JC, ces zones restent occupées sans rupture majeure. Cette continuité se traduit également dans la nécropole, où les pratiques funéraires se caractérisent désormais par le regroupement des inhumations au sein de tumuli collectifs et par l’apparition de grands tumuli aristocratiques.

Plan des vestiges antiques du tiers sud de la ville fortifiée et du faubourg sud-est, établi à partir de l’orthophotographie et de la cartographie géomagnétique. Mission archéologique de Thaj (CNRS/Heritage Commission)

Plan des vestiges antiques du tiers sud de la ville fortifiée et du faubourg sud-est, établi à partir de l’orthophotographie et de la cartographie géomagnétique. Mission archéologique de Thaj (CNRS/Heritage Commission)

A partir du milieu du IIIe siècle apr. J.-C., les fouilles témoignent de l’abandon progressif du faubourg sud-est (secteur 1) et de plusieurs quartiers intra-muros (secteurs 6, 11) ainsi que d’un déclin dans l’occupation de la nécropole. A la même époque, cependant, les fortifications de la ville sont considérablement renforcées : dans le secteur 2, la porte sud-est est bouchée et l’enceinte est doublée par deux renforts qui portent son épaisseur totale à 10 m. Ces changements s’expliquent peut-être par une dégradation des conditions politiques et économiques de la région, à la suite des interventions militaires sassanides en Arabie orientale, et par l’aridification du climat.

Dans la ville intra-muros, les dernières occupations identifiées par les fouilles (secteur 2) datent de la veille ou des débuts de l’Islam (550–650 apr. J.-C.). Divers indices suggèrent attestent néanmoins la persistance d’une occupation limitée (et pas nécessairement continue) du site durant la période islamique, au moins jusqu’au XVIe siècle. Thaj était en tout cas abandonné lors de l’installation des ikhwān de la tribu des ʿAwāzim sous le règne du roi Abdulaziz, vers 1917.

Inscription funéraire hasaïtique découverte par la mission archéologique de Thaj. © Mission archéologique de Thaj (CNRS/Heritage Commission)

Inscription funéraire hasaïtique découverte par la mission archéologique de Thaj. © Mission archéologique de Thaj (CNRS/Heritage Commission)

English version

Located in the Eastern Province of Saudi Arabia, 90 km west of the Gulf coast and the modern port of al-Jubayl, the ancient caravan city of Thaj is the key site for understanding the political, economic, cultural and environmental history of eastern Arabia and the Arabian Gulf shore during the late pre-Islamic period. Composed of a fortified city of 40 ha, a suburb of 12 ha and a necropolis of more than a thousand burial mounds, it is the largest known pre-Islamic settlement in eastern Arabia. Previous fieldwork carried out by the Moesgård Museum (1968) and by the Department of Antiquities of Saudi Arabia (1983-2002) led to date its floruit to the so-called « Hellenistic » period (3rd century BCE – 1st century CE). These first results, combined with the strategic location of the site on the great caravan route linking South Arabia to Mesopotamia, led some scholars to identify it to Gerrha, an ancient city described by Greek and Latin sources as one of the two richest cities in Arabia. This identification, however, remains controversial.

Launched in 2016, the Thaj Archaeological Project is the first large-scale archaeological project on this major site. It is co-led by the CNRS and the Saudi Ministry of Culture’s Heritage Commission, with the support of the French Ministry of Europe and Foreign Affairs’ Excavation Commission. This multidisciplinary project includes not only a major archaeological excavation program, but also a geo-archaeological component and a series of specialized studies (ceramology, archaeozoology, archaeobotany, bio-anthropology), with the aim of achieving a comprehensive understanding of the site, its environment and its material culture. Five excavation campaigns (2016-2019, 2021) and three study campaigns (2018, 2020, 2022) have been carried out so far.

Tumulus des IVe/IIIe siècles av. J.-C. construit sur une ancienne carrière (secteur 7), en cours de fouille. © Mission archéologique de Thaj (CNRS/Heritage Commission)

Tumulus des IVe/IIIe siècles av. J.-C. construit sur une ancienne carrière (secteur 7), en cours de fouille. © Mission archéologique de Thaj (CNRS/Heritage Commission)

On a regional scale, the geo-archaeological study (carried out in collaboration with the MEDEE project) has made it possible, among other things, to reconstruct the regional paleoclimatic variations since the beginning of the Holocene and to identify a last generally wet phase between 5.3 and 2.2 ka cal. BP (ca. 3300–200 BC). The regional survey carried out as part of the project has shown that, thanks to these wet conditions, the site of Thaj was frequented by man as early as the Late Neolithic and that large pastoral necropolises were established in its vicinity from the second half of the 3rd millennium.

At the scale of the site, a general photogrammetric coverage and a geomagnetic survey (carried out in collaboration with the Institut de Physique du Globe de Strasbourg) made it possible to map a significant part of the last stratum of the ancient city in 2016. Based on this, several excavation areas were set up in the walled city (Areas 2, 6, 11) and its suburbs (Areas 1, 8). In parallel, thanks to a collaboration with the Institut des désrts et des steppes, a study program of the necropolis was launched, including a systematic pedestrian survey and the excavation of 8 tombs (Areas 3-5, 7, 12-15).

Céramique locale en Thaj ware. © Mission archéologique de Thaj (CNRS/Heritage Commission)

Céramique locale en Thaj ware. © Mission archéologique de Thaj (CNRS/Heritage Commission)

The TAP’s excavations have revealed an early, previously unsuspected occupation of the site at the end of the Iron Age (8th–6th century BC). It is associated with construction activities, a local ceramic production and the first burials in the necropolis. However, the urban boom of Thaj appears to have taken place in the 4th/3rd centuries BCE, as shown by the construction of monumental buildings, the expansion of the necropolis, the development of craftsmanship, the appearance of a local script (Hasaitic) and the rise of long-distance trade. At this time, the city became a major trading station and probably the seat of a regional power, with a mint.

The TAP’s excavations at the south-eastern gate of the city (Area 2) now make it possible to date the construction of the city wall to the second half of the 2nd or 1st century BCE. Due to its size, layout and quality of construction, this wall is a unique defensive structure in the Arabian Peninsula. The excavations have revealed the initial state of its south-eastern gate, which was flanked by two large massive towers projecting outwards. Outside this enclosure, to the south-east, a suburb developed, including artisanal installations (pottery kilns excavated in Area 1) and possibly caravanserais. Until the beginning of the 3rd century CE, these areas remained settled without any major break. This continuity is also reflected in the necropolis, where the funerary practices of this period are characterized by the grouping of burials within collective burial mounds and by the appearance of large aristocratic burial mounds.

Vue de la porte sud-est du rempart de la ville (secteur 2) en cours de fouille. © Mission archéologique de Thaj (CNRS/Heritage Commission)

Vue de la porte sud-est du rempart de la ville (secteur 2) en cours de fouille. © Mission archéologique de Thaj (CNRS/Heritage Commission)

From the middle of the 3rd century CE onwards, the excavations show the progressive abandonment of the south-eastern suburb (Area 1) and of several intramural quarters (Areas 6, 11) as well as a decline in the use of the necropolis. At the same time, however, the city’s fortifications were considerably strengthened: in Area 2, the south-eastern gate was blocked and the city wall was doubled with two successive reinforcements, bringing its total thickness to 10m. These changes may be due to deteriorating political and economic conditions, following the Sassanian military campaigns in eastern Arabia, and/or by the aridification of the climate.

Within the city, the last occupations identified by the excavations (Area 2) date from the eve or the beginning of Islam (550–650 CE). Various clues suggest, however, the persistence of a limited and not necessarily continuous occupation of the site during the Islamic period, at least until the 16th century. However, Thaj was certainly abandoned when the ikhwān from the ʿAwāzim tribe were settled there by King Abdulaziz, around 1917.

Vue d’un grand ensemble de bâtiment abritant plusieurs ateliers de potiers allant du Ier au IIIe siècle apr. J.-C. (secteur 1). À l’arrière-plan, la nécropole du site. © Mission archéologique de Thaj (CNRS/Heritage Commission)

Vue d’un grand ensemble de bâtiment abritant plusieurs ateliers de potiers allant du Ier au IIIe siècle apr. J.-C. (secteur 1). À l’arrière-plan, la nécropole du site. © Mission archéologique de Thaj (CNRS/Heritage Commission)

Articles

Laguardia M., 2021, « Repas des morts, repas des vivants. Analyse des dépôts funéraires de la nécropole de Thaj (Arabie saoudite) », in P. Bacoup, N. Caurette, A.-S. Laurent & A. Marty (ed.), À table ! De l’approvisionnement au dernier repas (Archéo Doct 15), Paris: Éditions de la Sorbonne.

Laguardia M., Munoz O. & Rohmer J., 2019, “The necropolis of Thāj (Eastern Province, Saudi Arabia): an archaeological and anthropological approach (poster)”, Proceedings of the Seminar for Arabian Studies 49: 199–206.

Laguardia M., Munoz O., Rohmer J. & Courtaud P., 2022, « Pratiques funéraires dans l’Arabie antique: la nécropole de Thaj », Bulletins et mémoires de la Société d’Anthropologie de Paris 34: 29–44.

Lesguer F., 2022, « Zones de production de céramiques dans la péninsule Arabique entre le IVe siècle av. J.‑C. et le XIVe siècle ap. J.‑C. », in C. Durand, J. Marchand, B. Redon & P. Schneider (eds.), Networked spaces: The spatiality of networks in the Red Sea and Western Indian Ocean, Lyon: MOM Editions, p. 401-416.

Rohmer J., 2019, « Aux marges des mondes hellénistique, parthe et sassanide : la ville caravanière de Thāj (Arabie orientale) », Revue archéologique (Bulletin de la SFAC) 67 : 167–176.

Rohmer J., Al-Jallad A., al-Hajiri M., Alkhatib Alkontar R., Beuzen-Waller T., Calou P., Gazagne D. & Pavlopoulos K., 2018, “The Thāj Archaeological Project: results of the first field season”, Proceedings of the Seminar for Arabian Studies 48: 287–302.